Face, d’une part, aux conditions météorologiques exceptionnelles survenues dans le département de Côte-d’Or le 22 juin 2022, qui ont eu pour conséquences de rendre inopérants ou dangereux les moyens de traitement terrestres de certaines parcelles du vignoble, d’autre part, au développement rapide du mildiou mettant en péril la récolte des vignobles dans les parcelles affectées et nécessitant un traitement urgent, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que la ministre de la santé et de la prévention et le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ont pris un arrêté important en date du 25 juin 2022.
Paru au JORF n° 0147 du 26 juin de la même année, cet arrêté a établi une dérogation temporaire pour la pulvérisation par voie aérienne d’un produit phytopharmaceutique dans certaines vignes du département de Côte-d’Or.
Fort de six articles, dont cinq consacrés aux conditions de cette dérogation temporaire, il est intéressant de constater que l’arrêté vise, d’abord, le type de parcelles concernées, ensuite, l’échéance de la dérogation ainsi prise. Il est, enfin, surprenant de constater que la DGAC n’en n’a pas été signataire.
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S’agissant de la zone concernée, ledit arrêté « Est autorisé, sur les parcelles viticoles du département de la Côte-d’Or dans lesquelles les conditions d’une intervention efficace par voie terrestre ne sont pas réunies(…) ».
Ainsi, donc, va-t-il beaucoup plus loin que les dispositions expérimentales antérieures en la matière découlées de l’article 82 de la Loi Egalim n° 2018-938 du 30/10/2018, parue au J.O. n° 0253 du 01/11/2018, en ce qu’il ne limite pas la dérogation aux terres pentues à seulement 30% et plus ni au seuls terrains sur lesquels le passage de machines traditionnelles provoquerait des détériorations.
Il vise, simplement dans son intitulé, et de façon très large, le moyen de palier aux techniques classiques terrestres rendues « inopérantes ou dangereuses » à raison « des conditions météorologiques exceptionnelles ». C’est, donc, la notion d’urgence de sauvegarde des parcelles viticoles et des vignobles qui est mise en avant et qui fonde cette dérogation temporaire associée à la volonté, parallèle, d’éviter toute situation dangereuse et, par là même, de veiller à réduire le risque humain.
En cela, cet arrêté est intéressant car il tient, implicitement, compte de la décision du Conseil d’Etat du 26/07/2021 qui avait retoqué l’article 9 de l’arrêté d’exécution du 26/08/2019 de la Loi EGalim en ce qu’il ne prévoyait aucune mesure spécifique de protection de la santé des travailleurs agricoles exerçant leur activité à proximité immédiate de la parcelle traitée.
Or, le fait que cet arrêté évoque la volonté d’écarter les moyens de traitement classiques à raison de leur dangerosité vu l’état climatique des parcelles, induit cette volonté de satisfaire aux exigences du Conseil d’Etat alors que cela n’avait pu être mis en application avant la fin de la période expérimentale de la Loi EGalim.
Concernant l’échéance de la dérogation temporaire, on peut lier ce point à celui de l’absence de référence de l’arrêté à la DGAC. En effet, paru au JORF du 26/06/2022, l’arrêté prévoit la dérogation jusqu’au 05/07/2022.
Or, il vise, en son article 1, « l’application du produit phytopharmaceutique BOUILLIE BORDELAISE RSR DISPERSS (n° AMM 9500452) par voie d’aéronef (…) » sans préciser s’il s’agit d’aéronef habité ou non habité ce qui laisse supposer que les deux types d’aéronefs sont concernés et, donc, notamment, les drones.
Dès-lors, si les drones sont concernés, ils doivent impérativement respecter les règles de l’aviation civile et satisfaire aux demandes d’autorisations type PDRA ou SORA lesquelles nécessitent d’être formulées devant la DGAC (DSAC) dans le respect de formalismes bien établis et dans des délais qui dépassent, largement, la durée de la période dérogatoire prévue du 26/06/2022 au 05/07/2022.
On sait, en effet, et dans le meilleur des cas, qu’il faut entre un et trois mois pour qu’une demande d’autorisation formulée devant la DGAC aboutisse favorablement.
En d’autres termes, cet arrêté fait, donc, totalement fi des obligations de demande d’autorisations PDRA et SORA auprès de la DGAC ce qui ne saurait surprendre dès-lors que la DGAC n’apparait nullement dans le corps même de l’arrêté comme en tant que signataire de celui-ci.
L’article 2 de l’arrêté prévoit, en effet, l’obligation pour le professionnel de faire « parvenir au préfet du département, avec copie à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (service régional de l’alimentation), une déclaration préalable de traitement ainsi qu’une déclaration de réalisation du traitement dans les cinq jours qui suivent le traitement, comprenant les informations listées en annexe. ». Il s’agit, donc, d’une déclaration préalable à postériori et non d’une demande préalable à priori.
Deux conséquences interprétatives découlent de ce constat édifiant mais intéressant. D’une part, c’est, ainsi, la porte ouverte au principe selon lequel toute situation d’urgence d’application de produits phytosanitaires par drones pourrait, désormais, être exemptée des obligations PDRA et SORA ! La DGAC l’entend-elle de cette oreille ? Cela n’est pas certain. D’autre part, c’est, également peut-être, la porte ouverte à la future mise en place de PDRA ou de SORA génériques qui consisteraient dans la création de PDRA et de SORA d’application constante sur certaines zones et pour des durées à déterminer lesquelles permettraient d’obtenir une déclaration dans un temps record. Pour autant, ça resterait une demande à priori alors que de son côté l’arrêté du 25/06/2022 prévoit une « déclaration préalable » à postériori et, précisément, « dans les cinq jours qui suivent le traitement. »
La DGAC peut-elle accepter un tel principe dérogatoire ? Peut-elle accepter un tel principe dérogatoire sans être consultée ? Pour autant, cela vaudrait pour l’avenir mais, aucunement, pour la période dérogatoire prévue par le présent arrêté !
En conséquence, s’agissant des modalités d’application dudit arrêté aux drones, compte-tenu de l’absence de consultation de la DGAC pour sa signature, on ne pourra que conseiller aux professionnels d’utiliser, en situation d’urgence, des drones en limite de masse de 25 kg (chargés emports et batteries), soit en scénario S1, soit, selon la réglementation européenne, en Open A3 jusqu’à 25 kg et ce, dans les deux cas de figure, sans qu’il soit besoin d’autorisation de la DGAC, ni de le faire en déclaratif.
En dehors de ces conditions, toutes applications, hors PDRA et/ou SORA validées par la DGAC pourraient être considérées comme illégales et sanctionnées, comme telles, notamment, par la DGAC et toutes autorités compétentes pour en connaître.
Le 28/06/2022
Franck RICHARD
Avocat à la Cour – Barreau de Paris
Vice-président de l’APADAT